Quand le mime prend corps
Quand le mime prend corps
Quand le mime prend corps
Cet art est méconnu du grand public, pourtant son histoire se révèle riche et sa pratique, vertueuse. Démonstration en cours du soir avec Ivan Bacciocchi, dans son école de mime à Paris
Ecole International de Mime.Paris, March 2014. / Paolo Bona photographer
« Emparons-nous de la chose. » D’une voix douce mais ferme, Ivan Bacciocchi signifie le début du cours. Ce soir, treize élèves, âgés de 19 à 50 ans et plus, sont venus suivre l’enseignement du directeur de l’École internationale de mime corporel dramatique, située au cœur de Belleville, à Paris.
Pieds nus ou en chaussons de danse, les participants se dirigent en silence vers le fond de la salle aux murs de pierre brute. Là, dans un coin, « la chose » est suspendue à la rampe d’un court escalier. « Il est des mots qu’on ne prononce pas », chuchote le professeur glissant le regard vers cette cordelette qui va accompagner les « apprentis mimes » tout au long du cours, de façon visible puis invisible.
Ivan Bacciocchi fut élève puis assistant d’Étienne Decroux (1898-1991), père fondateur du mime moderne. Bien que méconnu du grand public, c’est ce dernier qui a hissé le mime au rang d’art, en opposition à la pantomime du XIXe siècle – divertissement populaire.
Marche sur place
Étienne Decroux a consacré sa vie à établir les règles d’une pratique enseignée aujourd’hui dans le monde entier. La « marche sur place », donnant l’impression que l’acteur avance tout en restant sur place, mille fois reprise depuis lors, c’est lui… « Decroux est la référence du monde professionnel, Marcel Marceau, celle du public », résume Ivan Bacciocchi, qui a travaillé avec les deux artistes et en garde un souvenir ému.
Auprès d’eux, il a appris l’exigence de cet art qui recherche la maîtrise du corps. « Par le mime, on cherche à se doter d’un langage universel du corps. On peut aussi venir s’initier avec une relative insouciance, en se disant que l’on va faire appel à sa fantaisie, à son sens du jeu. Mais derrière une facilité apparente, insiste-t-il, se cache une technique complexe. »
Retour au cours, en compagnie des élèves d’Ivan Bacciocchi. Débutent les « rituels », exercices de relaxation et d’échauffement avec « la chose » tendue au-dessus de la tête, talons décollés, puis reposés, jambes pliées puis tendues.
Offrande virtuelle
« Cela peut paraître répétitif, confie le professeur, mais il s’agit de sortir le corps d’un univers – celui du quotidien –, pour entrer dans un autre type de langage. » Vont se succéder divers exercices, celui évocateur de « l’offrande virtuelle » – mimer l’attitude d’offrir une fleur –, ceux sur la « verticalité du corps », minutieux travail sur l’équilibre…
Le mime Marceau s’est éteint à 84 ans
La deuxième partie du cours s’effectue sans accessoire. Thème cher à Decroux, la « marche » révèle toute la virtuosité de cet art. Avec « la marche de l’effort », le groupe avance en ligne d’un pas qui « est une lutte, qui doit montrer l’effort », commente le professeur.
> En images : Le mime Marceau
De même avec « la marche de l’usine », pas saccadés d’avant en arrière, où le poids du corps est « jeté contre l’imaginaire ». Le mouvement tend à rendre visible une lutte physique. Voire philosophique ? « Mets le corps dans l’attitude, la condition, de lutter et tu trouveras où est l’esprit du mouvement, se plaît-on à dire en mime », sourit le professeur. Et la créativité de chacun pourra ensuite librement s’exprimer.
C’est d’ailleurs l’objet du dernier exercice, l’improvisation. Ce soir, il s’agit de créer une saynète en petit groupe sur le thème du « contrepoids », « faire le portrait de l’effort ». La salle est plongée dans le noir. Silence. Lumière.
Isabelle, frêle dame au regard fixe, crée l’illusion de tirer sur la fameuse « chose », qui lui résiste. Son acolyte calque le rythme sur le sien, puis le jeu s’enchaîne à trois… L’effet est réussi. « Voilà, c’est par ces petits mouvements simples mais efficaces, où les proportions sont maîtrisées, que l’effet est obtenu. Merci ! », conclut le professeur.
Raconter des histoires sans rien dire
Il est 21 heures, les élèves se changent avec hâte. Petites confidences. Isabelle, elle, se sent « étriquée dans son corps » et cherche à gagner en souplesse par le mime. Larbi, 34 ans, souhaite acquérir « une plus grande aisance corporelle ».
Quant à Laure, étudiante, c’est le film de Marcel Carné Les Enfants du paradis qui est à l’origine de sa passion. Soixante-dix ans après, la réplique de Frédérick Lemaître (Pierre Brasseur), « l’acteur », au mime Baptiste (Jean-Louis Barrault) résonne comme une évidence.« Toi, les mots, les phrases, ça te laisse froid. T’en as pas besoin ! Tu racontes ta petite histoire sans rien dire (…) Tu parles avec tes jambes, tu réponds avec tes mains, un regard, un haussement d’épaule. Deux pas en avant, un pas en arrière, allez hop ça y est, ils ont compris… ! » Démonstration fut faite, ce soir, que l’art n’est pourtant pas si simple.